Comment et en quoi le Qi Gong est-il un art de réalisation personnelle ?
Au-delà de la simple gymnastique douce qu’il semble être par ses mouvements lents et harmonieux, le qi gong nous invite à reprendre les rênes de notre existence. Il va nous permettre une action sur le corps et une action sur notre mental que nous allons mettre à notre service. En effet nous allons réaliser à quel point nous sommes des marionnettes qui nous laissons brinqueballer bien souvent par le théâtre de nos pensées ; pensées qui accaparent notre mental et occupent nos journées, pensées obsessionnelles, démoralisantes, anxiogènes, etc. dont nous sommes souvent les seules victimes prises au piège de nos ressassements.
C’est un fait, nous ne maîtrisons pas notre mental ! De même, nous ne maîtrisons pas non plus ce qui se passe dans notre corps. Notre respiration nous échappe, notre métabolisme s'impose à nous, nous ne gérons pas grand-chose si nous y songeons ! Mais il y a moyen néanmoins de nous sentir plus investi dans notre rôle d’êtres humains.
Apprenons à mieux gérer notre respiration et faisons des exercices en ce sens, apprenons å avoir une action sur notre métabolisme par une attention à notre alimentation, (comment mieux se nourrir), apprenons à mieux gérer notre mental par une attention aux pensées, ainsi nous allons prendre conscience de notre capacité à avoir une emprise sur nous-mêmes !
La discipline taoïste nous donne des clés et l’entraînement issu de la philosophie bouddhiste nous aide à faire de notre mental un ami et non plus cet ennemi qu’il est souvent car pris au piège de pensées qui s’enchaînent et s’imposent à nous.
Nous devons réaliser que nous donnons souvent à ces pensées un statut qu’elles n’ont pas en réalité, nous les solidifions, nous les nourrissons et, bien nourries, naturellement, elles se renforcent et occupent notre univers mental.
Il nous faut comprendre le mental : ces pensées qui se forment, s’imposent si nous les invitons à s’exprimer sans cesse ; ces pensées forment notre système psychique régissant notre propre psychologie, elle-même produit de notre histoire, histoire qui modèle notre ego.
Notre égo c’est le nom que l’on donne à ce que nous sommes avec nos habitudes de réaction, et ces dernières, si nous ne faisons pas attention, nous conduisent vers -et nous enferment dans- des réactions en chaîne : pensées, paroles et actions qui semblent nous coller à la peau et sur lesquelles, si nous ne prenons pas la distance ou la conscience de ce qui se passe vont définir «notre destin». Phrase du Dalaï Lama !
Au fil de la vie, l’énergie d’habitude prend le dessus.
Pour casser cela en quelque sorte, remettre de l’ordre dans ce chaos et dans notre propre maison, car tout ceci nourrit notre souffrance, nous rend malheureux, peut nous faire perdre la tête, nous déboussoler, aller jusqu’à nous déprimer et mettre notre vie en danger, nous allons comprendre qu’il nous faut monter d’un cran, voir la vie d’un niveau plus élevé, différencier la Vie de notre propre existence !
Ce que nous propose le qi gong, lié à la médecine traditionnelle chinoise, est une compréhension holistique de l’univers, une vision très harmonieuse, globale, complète de la VIE. Il y a le macrocosme et ses lois, les lois de l’univers qui régissent notre planète au sein d’un ensemble bien plus grand et inconnu pour l’essentiel qui régit pourtant l’ordonnancement de notre monde : cycle des saisons, rythme de la nature, jour et nuit, etc..
Les règles de cet univers (uni vers : vers quelquechose de caché !) sont l’impermanence et l’interdépendance, deux notions à creuser car elles donnent les clefs -de et pour- notre vie.
L’impermanence d’un côté : rien ne dure, tout se transforme, rien ne meurt, rien ne naît, tout se continue sous une autre forme, l’interdépendance de l’autre : rien n’est indépendant, autonome, il n’y a pas de moi séparé, tout est lié et relié, nous ne sommes pas, nous «inter-sommes» ; en prendre conscience conduit à prendre conscience de ce qui nous anime, au-delà de notre volonté !
Le qi gong est un outil qui peut nous aider à cela.
Pour qu’il soit efficace dans l’art de la réalisation personnelle, il faut nous entrainer, comme pour la méditation ; le qi gong n’est pas quelquechose dont on parle mais que l’on pratique, ce n’est pas une théorie, une philosophie, c'est une expérimentation concrète ... c'est à travers ou à partir des mouvements et autres pratiques proposées, que nous allons parvenir à mieux tenir notre mental qui produit le psychique et le psychologique et le mettre en quelque sorte au service de l’esprit. L’esprit au sens de la question : «quel est l’esprit de notre vie, qu’est-ce qui nous guide, qu’est-ce que notre ligne de conduite, notre désir profond ?».
Le bouddhisme nous interroge en ce sens : définissez, prenez conscience de votre volition profonde, sous un autre vocable : quel est votre désir d’incarnation, votre désir d’âme disent les chrétiens, bref qu’est-ce que vous êtes venus faire dans cette incarnation ? est-ce souffrir ? être brinqueballés par des événements, poursuivre des buts comme l’ombre poursuit la forme ? Courir après des «buts» (biens matériels, possessions, pouvoirs,...) au mépris de valeurs profondes et profondémment ancrées en tous.
Non, il semble même que les événements traversés seraient le moyen de comprendre ce que nous sommes venus faire dans cette incarnation, dans cette existence. Donc pour avoir une incidence, ou mieux une prise sur notre mental, il nous faut bel et bien regarder la vie de plus haut : que voulons-nous pour nous-mêmes ?
Pour le définir, sans être mû par des réactions émotionnelles qui font que la plupart du temps nous ne voulons pas ce qui nous arrive, nous devons mettre en évidence, sortir de nous, extraire de nos couches profondes, les valeurs qui nous sont importantes et qui sont le fondement de notre meilleure façon d’être. Nous pouvons voir cela quand nous nous extrayons de ces suites d’événements qui formatent notre quotidien et que nous nous plaçons sur une marche supérieure.
Notre mental, produit et producteur de notre psychologie et de notre psychisme, doit être guidé, pris en main, dressé, éduqué pour être au service de cette vision élevée, donc de l’esprit qui l’anime, en un mot, c’est la dimension spirituelle ! quand nous nous occupons du corps c’est la dimension corporelle quand nous nous occupons de l’esprit, c’est dimension spirituelle et il est plus que légitime de s’occuper du corps et de l’esprit puisque nous sommes l’un et l’autre...
Cette dimension spirituelle s’appuie sur les valeurs de l’existence que nous privilégions dans cette incarnation, ces valeurs nous replacent dans notre dimension d’être humain qui décide ou veut décider de son destin, du moins y collaborer utilement, un être humain qui définit sa vision la plus élevée et qui est décidé à mettre ses moyens d’action à ce service là. Ses moyens d’action sont ses pensées, ses paroles et ses actes.
Comment faire pour sans cesse nous rappeler notre vision la plus élevée et ne pas nous laisser aller à nos réactions impulsives ? Ces réactions sont le produit de notre habitude à réagir et non à agir, nous sommes victimes de notre énergie d’habitude, bref de ce qui nous conduit dans le chaos et non dans la création de la vie, ces réactions et habitudes qui nous maintiennent trop souvent dans la cour de récréation de la vie.
Les taoïstes donnent des exercices : à chaque fois que vous allez penser à quelque chose, obligez-vous à le faire : bien vite vous allez éduquer votre mental, car vous risquez d’être épuisé si, dès que vous avez une idée sur quelquechose que vous souhaitez faire vous la mettez à exécution immédiatement ! Vous allez constater très vite que c’est impossible ! Cela permet de prendre conscience de la volatilité du mental, des pensées, de leur incohérence, de leur enchaînement.
Nous allons ainsi apprendre à trier et à mettre nos pensées au service de notre vision la plus élevée. A chaque fois que vous décidez de faire quelque chose, demandez-vous si cela est au service de votre vision la plus élevée : ayez un résumé, selon votre ou vos valeurs-phares, du type : «je suis au service de l’Amour, de la Paix, de la Lumière, de la Fraternité, de la Compassion, ; etc.», vision la plus élevée à la fois du monde dans lequel vous voulez vivre et de vous-mêmes.
Est-ce cohérent si je veux un monde fraternel, plus humain, plus uni, de produire et d’entretenir des querelles ? Est-ce cohérent si je veux la paix, d’avoir des pensées critiques négatives vis-à-vis de toutes et tous ? Est-ce cohérent si je veux un monde souriant, d’être dans des rapports d’agression ?
La question importante -au-delà de qui l'on est - est de savoir qui l'on veut être.
Bref, cela nous ramène à la question : « qu’est-ce que je veux et comment je peux faire pour mettre en oeuvre cela ? cela veut dire que je veux être maître de mon esprit, être uni-e à moi-même, comme nous invite à le faire le Bouddha afin que nos moyens d’action dans cette existence, à savoir nos pensées, nos paroles et nos actes et comportements soient la concrétisation de notre volition profonde, de notre désir d’incarnation, de notre projet d’âme, de notre vision la plus élevée.
Nous nous mettons donc en ordre pour être ce changement que nous voulons pour le monde, comme nous le dit Gandhi.
La stabilité de l’esprit est aussi le produit de la stabilité du corps. Enraciner le corps est indispensable et c’est au travers des postures de qi gong que nous nous y engageons. En cultivant le calme, nous retrouvons notre centre car c’est au centre, au cœur de nous-mêmes, que se love notre vision la plus profonde. On ne la perçoit que si on lui laisse la possibilité de s’exprimer et c’est dans le silence que cela peut émerger, car dans l’agitation nous sommes agités donc non centrés, nous ne laissons pas passer la lumière !
Pierre Rabhi nous dit «le silence est l’expérience spirituelle la plus intense».
Quand nous disons «j’ai eu la lumière, un éclair de génie, une inspiration», c’est toujours quand nous avons donné à notre esprit la possibilité de capter quelque chose de profond, d’essentiel. Le moment lors duquel nous étions 'centrés, immobiles et alignés" (selon l'expression de l'alchimiste P.Bureinsteinas).
Le qi gong est une voie de calme qui nous transforme au-delà de la forme, il nous aide à traverser la forme pour aller vers l’esprit. Le qi gong est une discipline qui se sert du corps pour aller vers l’esprit ; quand nous faisons des exercices, que nous nous exerçons à harmoniser les trois trésors : le jing (l’essence primordiale, le capital d’énergie), le qi (l’énergie issue du jing, énergie utile dans le moment présent pour alimenter le corps) et le shen (énergie qui nourrit l’esprit), nous passons de ce qui anime le corps à ce qui anime l’esprit, nous harmonisons cet habitacle, ce lieu dans lequel nous sommes venus habiter le temps de l’existence.
Conscient-e de la Dimension Ultime comme disent les bouddhistes, de la Terre pure de Bouddha, du macrocosme des taoïstes : du Tao, du Royaume du ciel des chrétiens, de l’âme universelle, de la VIE (et non simplement de circonstances et conditions de vie), le tout prend alors un sens... Le sens de la Vie et de notre Vie, nous est ainsi révelé.
Alors même si nous avons encore beaucoup à apprendre, à comprendre et à découvrir ou re-découvrir, nous avons fait un «sacré» pas sur le chemin... un pas sacré !
«Un chemin de mille pas commence par un seul pas» nous dit Lao Tseu
Nicole Dormeau, réflexion au fil du temps